Quand la censure s'attaque aux fujoshi 2/2
Si l'idée de lutter contre la pédophilie est louable, elle est souvent un Cheval de Troie pour étouffer la liberté d'expression dans les publications destinées à la jeunesse et les publications alternatives. Comme Mata-web le note, d’après le journal The Economist, l’ironie de cette histoire est que ce projet de loi vient du fameux Shintaro Ishihara (gouverneur ultra-conservateur de Tôkyô), qui s’est rendu célèbre dans les années 1950 pour ses romans polémiques contenant des scènes à caractère sexuel... avec des mineurs. Un comble pour quelqu'un qui prétend défendre l'intérêt des plus jeunes ! Lire la première partie de cet article.
HOMOSEXUALITÉ ET AMALGAMES : UNE VIEILLE HISTOIRE D'AMOUR
Encore une fois, on a entendu la Commission pour le développement des Jeunes et de la santé du Japon dire que les Boy's Love étaient une menace pour la société car cette lecture ferait se détourner les filles de la gent masculine. Les fujoshis seraient à croire les censeurs plus enclines à devenir lesbiennes !Ishihara, grand promoteur de cette loi controversée, exprime en fait une peur de plus en plus présente chez les anciennes générations : voir la population du Japon disparaître.
Il faut savoir qu'actuellement, le pays souffre du taux de natalité le plus bas du monde, très en deçà du seuil de renouvellement des générations, ce qui veut dire que si rien n'est fait, à terme, la population va vieillir et décliner inexorablement. Les raisons de cette situation dramatique ? Au lieu de créer des politiques de soutien des femmes qui sont devenues des mères de famille mais aussi des épouses qui travaillent, le gouvernement ne fait rien et attend des femmes qu'elles restent au foyer et qu'elles fassent des enfants uniquement. Ishihara pense d'ailleurs que les femmes sont inutiles une fois passé l'âge de s'occuper de leur progéniture. Cette idéologie patriarcale est en complète contradiction avec les aspirations des femmes d'aujourd'hui qui préfèrent mener une vie active que se soumettre à la vie monotone du foyer. Souvent plus sérieuses et plus volontaires que leurs collègues masculins, elles ont malgré les obstacles réussi à s'imposer dans les entreprises japonaises comme une force sur laquelle il faut compter.
L'IDENTITÉ FÉMININE AU JAPON À L'HEURE DU MÂLE ABSENT
On peut aussi se demander pourquoi, alors que la majorité sexuelle au Japon est fixée à 13 ans, on continue de tout faire pour empêcher les filles de construire leur sexualité dès l'adolescence grâce notamment à certains shôjo ou josei parlant de façon réaliste de l'amour, des hommes et de la sexualité. L'autocensure pratiquée par les mangakas BL effacerait presque tout le caractère obscène des scènes, au profit d'une pornographie angélique presque asexuée que beaucoup de lectrices jugent pure et propre. Dans ce contexte pourquoi ne pas autoriser les BL contenant des scènes de sexe gommées aux plus de 15 ans ?
Pour l'instant ni l'Occident ni le Japon ne semblent prêts à l'accepter alors que les adolescents masculins profitent de mangas et d'anime ecchi certes censurés mais érotisant nettement le corps féminin. Les filles n'auraient apparemment pas le droit de fantasmer sur le corps masculin... Les plus conservateurs tentent alors de dissuader les mangaka de parler de la sexualité ou du rôle sociale des femmes.
D'un autre côté, vouloir à tout prix laisser ces manga osés à la portée des plus jeunes, ne peut que nuire au genre. Mais quand on a 15 ou 16 ans (majorité sexuelle en France, au Canada et en Belgique) que vaut la censure ? Quels objectifs sert-elle ? Ne faudrait-il pas plutôt que les éditeurs soient responsables et classent leur production clairement en signalant aux plus jeunes et aux vendeurs le degré de sexualité ou de violence de chaque publication ? Ainsi, le pouvoir politique n'aurait pas d'argument pour exercer une quelconque censure.
ET DEMAIN ?
On suppose que cela ne va pas trop changer la vie des fujoshi et des fudanshi à court terme. Au Japon, auparavant, les œuvres pour adultes étaient placées au bout d'un rayon délimité par une indication signalant la nature de ces publications. Dans les combini, (supérettes ouvertes 24h/24h et 7j/7j), malgré la zone clairement identifiée, ils sont tout de même assez accessibles. Maintenant les magazines de prépublication de manga Boy's Love et josei peuvent se retrouver dans ces zones réservées à la pornographie pour adultes, pour peu qu'on juge leurs contenus obscènes. Certains seinen ou publications alternatives qui selon les censeurs pourraient corrompre la pureté des jeunes se retrouveront aussi flanquées de la mention +18…
Les mangakas devront éviter de représenter des personnages qui ont l'air de mineurs soumis à des actes sexuels violents, sous peine de voir leur travail interdit (même aux adultes). Certains Boy's Love contenant des scènes de sexes (ce n'est pas le cas de tous), se retrouveraient dans le même panier que les hentaï...
Dans une ville comme Tôkyô, où on trouve des librairies 100% BL, y aura-t-il un vigile à l'entrée qui contrôlera les cartes d'identités ou simplement les magasins seront-ils coupés en deux : une zone BL soft et une zone BL hard ? Dans leur ensemble, seront-il jugés nocifs pour le développement de la jeunesse ? Si ce sont les conservateurs qui mènent cette offensive, c'est bien sûr la faiblesse des politiciens les plus libéraux, et l'indifférence générale, qui risquent d'entériner ce genre d'entrave à la création.
Pendant ce temps, Amazon mène sa propre campagne de nettoyage sauvage, en excluant certains Boy's Love sur son Kindle sans les rejeter de la vente en format imprimé et sans vraiment expliquer les raisons des retraits ou de la conservation de certains titres contenant des histoires érotiques autrement plus corsées. Apple n'est pas moins pudibond et censeur, mais a le mérite de la cohérence en banissant tout contenu trop osé de son iBookStore.
Les artistes japonais voient bien que cette loi peut être la porte ouverte à une censure généralisée. Hideki Egami, le rédacteur en chef du magazine alternatif Ikki (où paraissent Goyô, Freesia, Afterschool Charismaou Dorohedoro) craint de ne plus pouvoir vendre à des mineurs étant donné le caractère violent, polémique, ou sexuel des histoires qu'il publie. Selon lui, le gouvernement ne voudrait pas préparer les adolescents à la dureté de la vie, mais les enfermer dans un cocon confortable et sans danger. Et s'ils deviennent ainsi des adultes incapables d'avoir un point de vue critique, tant pis. Ou tant mieux ?
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